Carol, une histoire captivante d’amour interdit

[ Dans le cadre des sorties culturelles organisées par le groupe « militantes Paris »  d’Osez le féminisme !, nous sommes allées voir le film Carol, de Todd Haynes. Cristina, militante anglaise actuellement en France, était avec nous et nous propose ici son point de vue inédit sur le film. ]

ROONEY MARA et CATE BLANCHETT dans le film CAROL

Carol est une adaptation du roman The Price of Salt de Patricia Highsmith, publié en 1952. On suit l’histoire de Thérèse, une jeune femme un peu timide qui travaille comme vendeuse dans un magasin de jouets. C’est là qu’elle rencontre Carol, incarnation de l’élégance et sur le point de divorcer, qui la séduit au premier regard. Il est facile de comprendre pourquoi ce film a reçu d’excellentes critiques : la réalisation magistrale de Todd Haynes, l’interprétation superbe de Cate Blanchett et Rooney Mara, l’esthétique particulière apportée par le format 16 mm, les coiffures, les costumes, les décors… le tout forme un ensemble irrésistible.

Pour ce qui est des thèmes abordés par le film, Todd Haynes n’en est pas à son coup d’essai. Un de ces précédents films, Safe (1995), raconte l’histoire d’une femme au foyer qui devient peu à peu malade de sa propre existence et de l’univers bourgeois et étriqué auquel elle est confinée. L’histoire de Carol se déroule quant à elle dix ans avant la publication de La Femme mystifiée (1963) – considéré aux États-Unis comme un des déclencheurs de la deuxième vague féministe – et rend bien compte de ce que Betty Friedan décrivait comme « un problème qui n’avait pas de nom » : le mécontentement et l’insatisfaction des femmes au foyer américaines des années cinquante qui, malgré un certain confort matériel, ne souhaitaient plus être cantonnées à la sphère domestique, aux travaux ménagers et au soin des enfants.

Carol afficheEn ayant ce contexte particulier à l’esprit, les attentes et aspirations des personnages féminins proposés par Carol nous paraissent encore plus claires. C’est le cas également pour les comportements des compagnons des protagonistes. Ceux-ci sont frustrés par ces femmes qui refusent de se conformer à la norme de l’époque, à savoir l’hétérosexualité. Ils sont toutefois représentés de manière subtile et si le film montre bien le rôle des hommes comme frein à l’émancipation des femmes, il dénonce aussi les pressions subies d’une manière générale et le poids des contraintes sociales de l’époque.

Le personnage de Carol est complexe et intrigant. Chacun de ses gestes et chaque petit détail qui l’entoure est chargé de sensualité et son attitude envers les hommes qui approchent Thérèse m’a mis le sourire aux lèvres. Le personnage de Thérèse est également construit de manière riche et subtile. Elle semble gagner en maturité et en profondeur à mesure que l’histoire se déroule, passant progressivement de photographe amatrice à professionnelle. Leur petite escapade en voiture fait écho aux road movies américains, notamment le classique féministe Thelma et Louise (1991). On trouve aussi un parallèle avec Les suffragettes (2015) : l’instrumentalisation des enfants comme manière de contrôler les femmes. Dans l’Amérique des années 1950, les homosexuel-le-s étaient vu-e-s non seulement comme des « pervers-es » mais aussi comme des risques pour leur entourage. C’est l’excuse utilisée ici par le mari de Carol pour l’empêcher de voir sa fille.

Bien que le cinéma LGBT remonte aux années 1960, Carol est pour moi le premier film hollywoodien grand public qui raconte l’histoire d’amour entre deux femmes. Il semble que ces dernières années – avec le très controversé La vie d’Adèle notamment – le public et les critiques commencent à apprécier des films qui mettent en scène des personnages lesbiens qui ont leurs propres préoccupations émotionnelles, conflits dans leurs relations intimes et attachements à leurs enfants, tout en étant confrontés à l’hostilité sociale et aux violences lesbophobes. Outre sa qualité cinématographique, Carol apporte sa contribution aux thématiques abordées par le cinéma LGBT, porteur d’un impact social fort qu’il me semble important de célébrer.

Cristina Barge,  le 9 février 2016.